
Une carte postale qui rappelle une grève. Peut-on imaginer quelque chose de semblable aujourd’hui?
L’énorme demande de charbon nécessaire pour alimenter les fours des anciennes usines de verre explique la présence fréquente de nombreuses verreries dans les zones minières.
Dans la ville française de Carmaux, près de Toulouse, on peut apprécier cette symbiose verre-charbon. D’importantes grèves y eurent lieu à la fin du XIXe siècle. Dans la région wallonne en Belgique, on peut observer une situation similaire. La ville de Jumet, par exemple, avait déjà des fours verriers en 1621. Et c’est cette industrie qui a accéléré le développement des mines de charbon en Belgique.
Il ne reste aujourd’hui que quelques vestiges de l’ère des grands artisans verriers belges, Val Saint Lambert est sans doute l’un des rares exemples encore en activité. Quant à ses mines, la Belgique assista à leur fermeture dans les années 60, une fermeture progressive qui a culminé en 1992 avec la fermeture de la dernière mine de charbon en Belgique. C’est une page qui se tourne dans l’histoire d’un pays qui, il ne faut pas l’oublier, fut l’un des membres fondateur de cet embryon de l’UE que fut la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA).
La Belgique termina la Seconde Guerre mondiale avec un énorme déficit de main-d’œuvre pour l’exploitation de ses vastes réserves de charbon. L’Italie de son côté était sortie exsangue de la guerre, dans des conditions de grande pauvreté et de manque de matières premières. C’est dans ce contexte qu’en 1946, le protocole italo-belge fut signé. Celui-ci prévoyait l’échange de travailleurs italiens contre du charbon belge et aboutit dans les années qui suivirent à l’arrivée sur le territoire belge de pas moins de 140 000 travailleurs italiens. Les travailleurs avaient l’obligation, sous peine d’emprisonnement, de travailler pendant au moins un an dans les mines de charbon.
Le Musée du Verre de Charleroi se trouve précisément sur le site du Bois du Cazier, patrimoine de l’UNESCO, site emblématique de la tragédie minière qui en 1956 a tué 262 mineurs (136 d’entre eux italiens): la catastrophe de Marcinelle.
A seulement 20 kilomètres de Charleroi, à Manage, des usines comme celle de Scailmont produisaient pendant les premières décennies du XXe siècle de véritables œuvres d’art. La concentration des verreries à Manage lui a d’ailleurs valu le surnom de « Cité du Verre ».
Nous sommes en 1910, l’exploitation minière est en plein essor en Belgique et ici, dans la ville de Manage, comptant seulement 5000 habitants, un groupe d’hommes et de garçons posent fièrement. Ce sont des ouvriers tailleurs sur verre et ils sont en grève. La présence d’enfants peut sembler surprenante, mais il faut se souvenir que le travail des enfants était chose courante à l’époque.
La journée de travail de 12 heures était aussi chose courante. En effet, on peut lire sur un panneau à l’arrière-plan: «La Fédération nationale des travailleurs du verre belges demande la suppression du travail de nuit», il y en a assez de travailler jour et nuit !
Les motifs de protestation ne manquaient pas, mais ce fut surtout la lutte pour la liberté d’association qui conduisit à cette grève de 1910.
On peut d’ailleurs trouver dans la presse de 1910 un résumé complet des faits, et la mention de la présence de pas moins de 400 travailleurs du verre à Manage. Dans le numéro de novembre du même journal, on trouve plus de détails au sujet de ces grèves et une référence claire à l’absence de liberté d’association et aux contrats que les patrons faisaient signer aux ouvriers, contrats qui contenaient des clauses illégales, même selon la législation en vigueur à l’époque, et qui permettaient de licencier le travailleur si celui-ci était inscrit dans un syndicat. Non content d’avoir licencié le travailleur, l’employeur pouvait même aller jusqu’à lui réclamer des indemnités devant les tribunaux.

L’existence d’un important fonds de grève destiné à soutenir financièrement les grévistes atteste par ailleurs de la solidarité entre les ouvriers.
Cette autre carte postale trouvée sur Internet montre le groupe de musiciens formé par les ouvriers grévistes de Manage et Familleureux.
En cherchant sur Internet, on constate qu’à cette époque, toute entreprise digne de ce nom, avait son groupe de musiciens. Tel était le cas de la Cristalería Española (la Verrerie Espagnole).
Mais ce ne sont pas les seules cartes qui évoquent les grévistes du verre de Manage, ici, on peut encore les voir:
Il est intéressant de noter que les grèves du verre à Manage ont sans doute contribué à la popularité de l’un des membres du comité de grève: Jules Pétiaux, qu’il me semble pouvoir distinguer debout au centre dans la première carte postale, juste en dessous de la lettre « C » de Café et dans la deuxième carte postale, tenant un saxophone, le plus belge des instruments de musique. Pétiaux, tailleur sur verre, fils de gobeletier, travailleur à Scailmont, marié à une tailleuse sur verre, fut élu maire de Manage en 1921 et est resté en fonction jusqu’en 1926.
Traduit par Florence Dangotte